Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

Accord UE-Mercosur : pourquoi ce traité cristallise la colère des agriculteurs

Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a promis, mercredi 31 janvier, que la France s’engagerait dans un « bras de fer » lors des négociations pour que l’accord entre l’Union européenne (UE) et quatre pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) ne soit « pas signé en l’état ». « Tel qu’il est, [cet accord] n’est pas bon pour nos éleveurs », a insisté le ministre sur CNews et Europe 1, alors que la France est secouée depuis bientôt deux semaines par des mobilisations d’agriculteurs en colère.
Le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, sera, quant à lui, à Bruxelles mercredi après-midi afin de défendre plusieurs de leurs revendications, dont le rejet de l’accord commercial entre l’UE et le bloc latino-américain.
Cet accord de libre-échange a été conclu le 28 juin 2019 après un long processus de négociation entamé au début des années 2000. Cependant, il n’est pas encore ratifié et les tractations se poursuivent – non sans difficultés.
C’est le plus important traité de libre-échange conclu par l’UE en matière de population concernée (780 millions de personnes) et de volumes d’échanges (entre 40 et 45 milliards d’euros d’importations et d’exportations).
Il vise surtout à faciliter les échanges commerciaux entre l’Europe et l’Amérique du Sud en supprimant progressivement la quasi-totalité des droits de douane appliqués aux exportations de l’UE vers le Mercosur. Il prévoit aussi un important quota d’importation de viande bovine et une reconnaissance de près de quatre cents indications géographiques protégées.
Ils dénoncent la menace que ferait peser l’arrivée massive de denrées alimentaires sud-américaines sur l’agriculture française : l’accord prévoit entre autres la suppression des droits de douane sur l’importation de 45 000 tonnes de miel, 60 000 tonnes de riz ou encore 180 000 tonnes de sucre.
Mais le point qui cristallise les tensions porte sur le quota de 99 000 tonnes de viande de bœuf taxé à 7,5 %, auxquelles s’ajoutent 60 000 tonnes d’un autre type de viande bovine et 180 000 tonnes de volaille exemptées de droit de douane. Une concurrence déloyale dénoncée unanimement par les éleveurs. Ils estiment qu’il sera difficile pour eux de se montrer compétitifs face aux grosses exploitations sud-américaines, plus nombreuses et soumises à moins de normes sanitaires et environnementales.
« Les éleveurs du Mercosur sont déjà ultracompétitifs. Quel est l’intérêt de leur ouvrir ce contingent à droits de douane réduits, d’autant que nous savons que leur production ne répond pas aux critères imposés en Europe ? », s’interrogeait ainsi la Fédération nationale bovine dans Le Monde après l’accord trouvé en 2019.
Alors qu’il s’efforce d’apaiser la colère des agriculteurs, l’exécutif a répété qu’il était contre la ratification de l’accord. Le gouvernement réclame des clauses miroirs afin de garantir la réciprocité des normes sanitaires et environnementales entre les deux blocs. L’Elysée a même assuré lundi que les négociations à Bruxelles avaient été interrompues en raison de l’opposition de la France. Depuis Stockholm, Emmanuel Macron a réaffirmé mardi s’y opposer en raison de « règles qui ne sont pas homogènes avec les nôtres ».
Les conditions d’un accord « ne sont pas réunies », a reconnu, de son côté, la Commission européenne. Jeudi dernier, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, avait admis que la crise agricole en Europe pourrait constituer un « obstacle » à la conclusion d’un accord. Mais des pourparlers entre négociateurs de l’UE et du Mercosur ont eu lieu la semaine dernière au Brésil, et des « discussions au niveau technique vont continuer », a souligné le porte-parole de la Commission, Eric Mamer. M. Macron doit, en outre, s’entretenir jeudi avec la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, en marge d’un sommet européen.
« Croyez-moi, quand la France veut quelque chose en Europe, elle a suffisamment de poids pour l’imposer », a assuré M. Le Maire mercredi, ajoutant que « c’est grâce au président de la République, et uniquement grâce à lui, que cet accord n’est pas signé aujourd’hui ».
« Tant que nous n’avons pas de réponses claires, et quelque chose qui évite de livrer nos agriculteurs à une concurrence déloyale, il ne peut pas y avoir d’accord », a, pour sa part, déclaré le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau, sur Sud Radio, avant de se rendre à Bruxelles, mercredi après-midi. « La France est assez seule au niveau européen » à vouloir s’y opposer, a-t-il reconnu. Mais M. Fesneau marche sur un fil au sujet de cet accord, dont le principe a été défendu par le ministre. « On a besoin d’échanges agricoles, tous les pays [de l’UE] ne sont pas capables de subvenir à leurs besoins », a-t-il dit, rappelant notamment que « la moitié des céréales françaises sortent des frontières ».
« Il est prématuré d’annoncer la prochaine date [du prochain cycle de négociations], si nouvelle date il y a », a d’ores et déjà prévenu la Commission.
La conclusion de cet accord est jugée essentiel par plusieurs capitales européennes, dont Berlin. Les négociations sur l’accord commercial entre l’UE et le Mercosur « doivent être rapidement conclues », avaient déclaré le chancelier allemand, Olaf Scholz, et le président argentin, Javier Milei, lors d’un entretien téléphonique début janvier.
« Une majorité de pays de l’UE sont en faveur de cet accord », rappelle Elvire Fabry, experte auprès de l’Institut Jacques Delors, interrogée par l’Agence France-Presse (AFP). Dans le contexte de l’affrontement entre la Chine et les Etats-Unis, de nombreux pays cherchent à diversifier leurs échanges, souligne-t-elle. Reste que « la probabilité qu’un accord soit signé avant les élections au Parlement européen » du 6 au 9 juin « est extrêmement faible », juge André Sapir, expert auprès de l’Institut Bruegel, également interrogé par l’AFP.
L’exécutif européen a rappelé mardi qu’il avait reçu un mandat des Etats membres de l’UE pour négocier cet accord et qu’il entendait bien mener les discussions à leur terme. La conclusion d’un tel accord devra ensuite être avalisée par les Vingt-Sept, à la majorité qualifiée. Mais chaque pays devra ensuite ratifier ce nouveau traité avant sa mise en œuvre, offrant de facto la possibilité pour un pays de le bloquer.
Marie Slavicek (avec AFP)
Contribuer

en_USEnglish